Action en réduction des libéralités et devoir d'information renforcé du notaire
Avec surprise, la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 est venue renforcer le devoir de conseil du notaire en matière de règlement d'une succession comportant des libéralités, en l'obligeant à alerter les héritiers du possible exercice d'une action en réduction. Ces nouvelles dispositions sont applicables à toutes les successions ouvertes depuis le 1er novembre 2021.
Il n'était pas évident qu'une telle disposition apparaisse dans une loi intitulée "loi confortant les principes de la République", même si le législateur nous a habitués aux lois "fourre-tout" aux appelations les plus vagues et les plus diverses.
L'article 24 de la loi rajoute un alinéa à l'article 921 du Code civil, prévoyant désormais :
"Lorsque le notaire constate, lors du règlement de la succession, que les droits réservataires d'un héritier sont susceptibles d'être atteints par les libéralités effectuées par le défunt, il informe chaque héritier concerné et connu, individuellement et, le cas échéant, avant tout partage, de son droit de demander la réduction des libéralités qui excèdent la quotité disponible."
Le premier alinéa de l'article 921 du Code civil, inchangé, prévoit :
"La réduction des dispositions entre vifs ne pourra être demandée que par ceux au profit desquels la loi fait la réserve, par leurs héritiers ou ayants cause : les donataires, les légataires, ni les créanciers du défunt ne pourront demander cette réduction, ni en profiter. Le délai de prescription de l'action en réduction est fixé à cinq ans à compter de l'ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l'atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès."
Il convient en effet de rappeler que la loi garantit à certains héritiers dits "réservataires" une fraction du patrimoine du défunt. Il s'agit des descendants en ligne directe et, dans certains cas, du conjoint survivant. Cette fraction est nommée "réserve héréditaite", et son quantum dépend du nombre d'héritiers réservataires en concours.
Il convient donc dans un premier temps de chiffre la réserve et la quotité disponible, c'est-à-dire la fraction du patrimoine du défunt dont ce dernier pouvait disposer librement, au profit d'un héritier, de son conjoint, ou d'un tiers à la succession.
Cette masse de calcul est composée des biens existants au jour du décès, diminués des dettes, et auxquels sont réunis fictivement les biens et les valeurs dont le défunt a disposé par libéralités entre vifs (soit les donations ou donations-partages).
Les libéralités (entre vifs ou à cause de mort : legs, donations entre époux) doivent ensuite être imputées. Le secteur d'imputation diffère selon la nature de la libéralité et de son bénéficiaire ce qui, en présence d'un conjoint survivant, peut présenter certaines difficultés et susciter nombre de discussions (notamment compte-tenu de la prise en compte de ce qu'on appelle la quotité disponible spéciale entre époux).
Cette opération peut révéler la situation dans laquelle l'imputation des libéralités dépasse le quantum de la quotité disponible, et que le défunt a donc disposé plus que ce que la loi lui autorisait. Cela donne lieu à l'action en réduction.
Cette action n'est pas automatique (les libéralités sont réductibles et non réduites), et appartient aux seuls héritiers réservataires, dont la réserve se trouverait amoindrie.
Encore faut-il en effet avoir connaissance de l'existence de cette action, de ses intérêts, et de son fonctionnement.
C'est là qu'intervient la nouvelle rédaction de l'article 921 du Code civil, qui impose désormais aux notaires d'alerter les héritiers réservataires de la possibilité d'une atteinte à leur réserve, et donc de leur droit de solliciter la réduction des libéralités en cause.
Toutefois, comme le révèle un auteur (A. TANI, in "Action en réduction et devoir notarial renforcé : la loi doit-elle énoncer des évidences ?", revue LexisNexis Droit de la famille n° 12, Décembre 2021), cette réforme législative ne fait qu'énoncer ce que les notaires faisaient déjà, tant il est douteux qu'auparavant, un notaire qui se serait abstenu d'alerter un héritier sur l'existence de l'action en réduction n'aurait pas vu sa responsabilité civile professionnelle engagée.
La nouvelle rédaction de l'article 921 va cependant certainement faciliter l'engagement de cette responsabilité, qui devient dès lors "quasi automatique", et elle va probablement inciter les professionnels à se prémunir de la preuve de la délivrance de cette information, notamment par un écrit dont on peut se douter qu'il va être rapidement standardisé.
Reste la question de l'ampleur de cette obligation. Jusqu'où le notaire doit-il aller pour "mettre au jour" des donations qui seraient réductibles ? En effet, si la question des legs devrait poser peu de difficultés, dans la mesure où celui-ci résulte d'un testament par définition révélé à la cohérie, il en va différemment des donations faites par le défunt au cours de sa vie.
Les praticiens savent bien que les donations ont rarement pour support un acte notarié (ou même un écrit), et qu'elles peuvent se nicher dans les actes les plus anodins. On se souvient ainsi du contentieux des biens vendus à un successible en ligne directe à charge de rente viagère (dont la jurisprudence est venue dire qu'il s'agissait bien d'une libéralité réductible du fait de la présomption de gratuité), ou de celui-ci, plus connu, des assurances-vie dont les primes seraient "manifestement exagérées".
Dès lors, s'il est certain que les notaires s'attachaient déjà à veiller au respect de la réserve héréditaire de chacun, et à mettre en oeuvre l'action en réduction lorsque celle-ci ne posait aucune difficulté, il n'en ira pas ainsi lorsque cette action se heurtera à la réticence du gratifié ou du légataire qui refusera (pour de bonnes ou de mauvaises raisons) de voir sa libéralité réduite.
Dans ce cas, et à défaut d'accord possible, seule la voie du partage judiciaire sera possible, action en justice qui nécessite obligatoirement le recours à un avocat.