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Assouplissement de la jurisprudence sur l'office du juge dans les partages judiciaires complexes

Publié par Aurélien Bêche le 25 avril 2024 dans   Droit des successions et indivisions


Au terme d'un arrêt rendu le 27 mars 2024, la Cour de cassation entend expressément revoir la position qu'elle adoptait de longue date, relative à l'office du juge du partage dans le cadre des partages juciaires dits "complexes", en autorisant désormais les juges du fond à renvoyer au notaire commis l'examen de certaines questions liquidatives, renonçant ainsi à considérer qu'il s'agirait d'un déni de justice, tel que prohibé par l'article 4 du Code civil.

Les praticiens du contentieux de la liquidation savent appréhender l'aspect périlleux de la phase du partage judiciaire, qui consiste en la saisine du tribunal judiciaire aux fins d'obtenir, sous réserve de justifier de l'impossibilité de parvenir à un partage amiable (hormis le cas d'un indivisaire mineur ou protégé), l'ouverture d'une nouvelle phase contentieuse, et notamment la désignation d'un notaire commis.

L'intérêt de la procédure réside dans le fait que ce notaire commis aura des pouvoirs étendus, par rapport au notaire choisi par les parties au stade amiable, et notamment la possibilité de convoquer les héritiers, et de dresser des procès-verbaux de difficultés ou de carence.

Le partage judiciaire peut-être "simple" ou "complexe", et paradoxalement, la majorité des jugements ordonnant le partage empruntent la seconde voie, c'est-à-dire qu'il est confié au notaire la mission de procéder aux opérations de partage, notamment en dressant un projet d'état liquidatif.

Cependant, il est fréquent en pratique qu'un certain nombre de questions liquidatives opposent les parties dès le stade de l'assignation en partage judiciaire, qu'il s'agisse de la détermination d'une créance d'indivision, d'une indemnité d'occupation, de l'évaluation d'un bien indivis ou d'une récompense, etc. 

Compte-tenu de la difficulté technique récurrente liée à ces questions, et du fait que leur résolution dépend fréquemment de la détermination préalable de certaines valorisations (typiquement, la fixation du quantum d'une indemnité d'occupation suppose au préalable de retenir la valeur locative du bien, laquelle a pu évoluer dans le temps), il était tentant pour le juge du partage de se contenter d'ordonner l'ouverture du partage judiciaire, et d'attendre le dépôt du projet d'état liquidatif par le notaire pour trancher les différends résiduels, au besoin en ordonnant un sursis à statuer qui n'avait été sollicité par aucune des parties.

Dans biens des cas, ce "report" pouvait être bien compris et admis, le juge du partage ne disposant pas de tous les éléments lui permettant d'apprécier le bien-fondé d'une demande liquidative.

Mais la Cour de cassation veillait au grain, et sanctionnait régulièrement, au visa de l'article 4 du Code civil, des arrêts d'appel au terme desquels il était refusé de statuer sur les contestations soulevées par les parties, avant de simplement les renvoyer devant le notaire liquidateur (C. cass., Civ. 1ère, 02 avril 1996, n° 94-14.310).

Au visa de cette jurisprudence établie, le juge ne pouvait en réalité pas s'abstenir de statuer sur le montant de l'indemnité d'occupation due au titre de la jouissance privative d'un bien indivis, dès lors que les parties fournissaient les éléments d'appréciation nécessaires.

La Haute Juridiction considérait que le notaire ne pouvait que donner un avis de pur fait sur les éléments d'évaluation.

Dans l'arrêt rendu le 27 mars 2024, il était reproché aux juges du fond de n'avoir pas tranché sur la question d'une créance due par un ex-époux à l'autre résultant du paiement de taxes d'habitation et de taxes foncières relatives à un bien se trouvant en indivision post-communautaire.

La Cour d'appel avait en effet considéré qu'elle ne disposait pas de suffisamment d'éléments, puisque si les avis de taxes étaient libellés au nom des deux époux, il n'en résultait pas pour autant que leur montant ait été acquitté par un seul d'entre eux. Elle renvoyait donc au soin du notaire commis de recevoir les éléments de preuve de l'ex-époux se prétendant créancier, au besoin en les sollicitant au cours des opérations de partage.

L'auteur du pourvoi s'appuyait expressément sur les attendus des arrêts antérieurs, mais sans convaincre la Cour de cassation, qui entend ainsi assouplir sa position, et autoriser le juge saisi au terme de la première phase du partage judiciaire (ouverture des opérations), à renvoyer les parties devant le notaire liquidateur, lequel recevra les éléments de fait dans une optique d'instruction des contestations.

Il lui reviendra ainsi de proposer, au terme de son projet d'état liquidatif, de retenir telle ou telle créance, et de la quantifier.

Entendons-nous bien. Il n'est pas question pour le juge de permettre au notaire commis de trancher une contestation, ce pouvoir étant dévolu strictement aux magistrats, soit au tribunal judiciaire, éventuellement à la cour d'appel.

En fonction du positionnement du notaire, ce dernier pourra également être tenté de concilier les parties, s'il estime que la position juridique soutenue par l'une ou l'autre a peu de chance d'aboutir en cas de contestation reprise dans le cadre du rapport qui doit être établi par le juge commis à l'attention du tribunal.

Cette position nouvelle de la Cour de cassation n'est pas dénuée d'intérêt, en ce qu'elle prend en compte les spécificités du partage judiciaire complexe, où souvent les parties sont "d'accord sur les désaccords", mais où l'appréciation technique est parfois difficile, voire impossible au stade de l'assignation, et où parfois, le juge a besoin de l'éclairage du notaire, technicien de la liquidation.

Il n'en demeure pas moins que les parties au partage judiciaire continuent d'être assistées de leur avocat, lequel, s'il doit être lui-même un technicien non rédacteur mais assistant, est le plus à même de déterminer si une demande est fondée, et à quel stade de la procédure elle doit être formulée.