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De l’importance de distinguer travaux de conservation et travaux d’amélioration d’un bien indivis

Publié par Aurélien Bêche le 23 février 2023 dans   Droit des successions et indivisions


Un récent arrêt rendu par la Cour de cassation (C. cass., Civ. 1ère, 12 oct. 2022, n° 21-10.578) permet de revenir sur une distinction classique du droit de l’indivision, à savoir les dépenses faites par l’un des indivisaires en vue de permettre la conservation du bien, ou celles ayant permis de réaliser une amélioration substantielle.

Rappelons tout d’abord que les dispositions en cause, formant le « droit commun de l’indivision », ce que le Code civil appelle « le régime légal de l’indivision » (art. 815 à 815-18 du Code civil) s’appliquent à toutes les indivisions, quelle que soit leur source. Il peut s’agir d’une indivision successorale, pré-communautaire ou post-communautaire, ou encore une indivision conventionnelle, comme dans le cas d’un couple pacsé ou en concubinage.

En l’espèce, dans le cadre d’une succession, un héritier avait réalisé, de sa propre initiative, des travaux dans un bien composant la masse future à partager, et donc bien indivis. Dans le cadre des opérations de partage ultérieures, cet héritier sollicite l’attribution à son profit d’une certaine somme, estimant que les dépenses faites au moyen de ses deniers personnels avaient permis une augmentation significative de la valeur du bien, ce qui profitait donc à l’ensemble de ses cohéritiers.

Un notaire ayant été désigné, celui-ci a établi un projet d’état liquidatif, homologué par la cour d’appel, qui retient, de façon un peu rapide, au visa de l’article 815-13 du Code civil, qu’il doit « être tenu compte » des travaux de conservation et d’amélioration du bien indivis.

La créance due par l’indivision à l’indivisaire solvens était ainsi fixée à la somme de 202.100,88 €, correspondant au montant total des factures de travaux de maçonnerie pour la réalisation d'une extension, plomberie, pose d'un portail automatique, menuiseries, peintures, installation d'un climatiseur et d'un éclairage de la piscine, sanitaires, alarme et transformation du jardin.

Analyse erronée selon la Cour de cassation, qui retient le motif de censure élevé par l’un des indivisaires auteur du pourvoi, qui rappelait que les dépenses d’amélioration et de conservation d’un bien indivis ne répondent pas au même régime, et qu’il convient en réalité de distinguer, au sein du projet d’état liquidatif, ces deux postes de dépenses.

Il est ainsi rappelé que l’article 815-13 du Code civil prévoit et distingue formellement :

« Lorsqu'un indivisaire a amélioré à ses frais l'état d'un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l'équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l'aliénation. Il doit lui être pareillement tenu compte des dépenses nécessaires qu'il a faites de ses deniers personnels pour la conservation desdits biens, encore qu'elles ne les aient point améliorés. »

S’agissant tout d’abord des dépenses de conservation, la Cour de cassation rappelle qu’au bénéfice de l’indivisaire responsable de ces impenses, il doit être tenu compte, eu égard à l’équité, la plus forte des deux sommes que représentent la dépense qu'il a faite et le profit subsistant.

L’indivisaire en question ne peut donc se voir appauvri, si les dépenses qu’il a engagées ont permis la conservation du bien et d’éviter une dépréciation, voire une perte, encore que ces dépenses n’ont pas strictement permis d’améliorer le bien.

S’agissant ensuite des dépenses d’amélioration, la question est plus complexe. En effet, ces dépenses ne sont pas nécessaires, et il est parfois curieux de constater qu’un indivisaire, qui ne dispose que d’une fraction de propriété, prenne l’initiative de réaliser des travaux importants, sans avoir par exemple l’assurance que ce bien lui sera attribué au terme du processus liquidatif.

Il doit à ce titre en considération de ce dont la valeur du bien s’en trouve augmentée, et donc au regard du profit subsistant. Cela signifie qu’il ne convient pas d’observer simplement les dépenses faites par l’indivisaire et de les « additionner » pour déterminer la somme lui étant due par l’indivision.

Il y a donc deux conséquences :

  • un indivisaire pourrait parfaitement ne se voir attribuer qu’aucune créance, si les dépenses faites par lui n’ont en réalité aucunement amélioré le bien au regard de sa valeur vénale, sauf recours à l’équité par le juge ;
  • il faut tenir compte, dans l’examen de la valeur ajoutée conférée au bien, des factures extrinsèques indépendants de l’action de l’indivisaire solvens, comme par exemple la progression du marché de l’immobilier.

Dans l’espèce de l’arrêt commenté, l’auteur du pourvoi reprochait précisément aux juges du fond d’avoir fait l’économie de vérifier dans quelle proportion la plus-value constatée trouvait son origine dans les travaux d'amélioration plutôt que dans l'évolution du marché.

D’où l’importance d’opérer, pour le notaire liquidateur comme pour l’avocat conseil des parties, une distinction appropriée entre dépenses d’amélioration et dépenses de conservation, et de déterminer, pour chacune, la créance en résultant au regard des méthodologies de calcul fournies tant par les textes que par la jurisprudence.