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Inconstitutionnalité partielle du dispositif régissant le droit de reprise du bailleur rural

Publié par Aurélien Bêche le 01 avril 2022 dans   Droit rural


Conseil constitutionnel, Décision n° 2021-978 QPC du 11 mars 2022

Par une décision rendue sur question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil est venu corriger une incohérence issue du dispositif régissant le droit de reprise du bailleur rural, lorsqu'il est confronté à une demande de prorogation de son preneur susceptible d'atteindre l'âge de la retraite. Les conséquences pratiques de cette décision sont particulièrement importantes compte-tenu des implications immédiates qu'elle emporte.

Pour mémoire, les dispositions du Code rural et de la pêche maritime permettent au bailleur de reprendre possession de ses terres à l'issue d'un bail rural, et ce à certaines conditions. Le cas principal de reprise est celui de la reprise pour exploiter, au profit du propriétaire lui-même, de son conjoint ou partenaire de Pacs, ou d'un descendant.

Dans ce cas, ce droit de reprise s'oppose au droit de renouvellement du bail dont dispose normalement le preneur en vertu du statut du fermage.

Ces cas d'opposition au renouvellement du bail pour reprise par le bailleur sont exposés à l'article L. 411-58 du Code rural.

Ce refus de renouvellement est également strictement encadré, notamment d'un point de vue procédural, puisqu'il doit donner lieu à un congé, délivré par acte extrajudiciaire, au moins 18 mois avant l'expiration du bail, l'article L. 411-47 du Code rural disposant à cet égard :

A peine de nullité, le congé doit :

-mentionner expressément les motifs allégués par le bailleur ;

-indiquer, en cas de congé pour reprise, les nom, prénom, âge, domicile et profession du bénéficiaire ou des bénéficiaires devant exploiter conjointement le bien loué et, éventuellement, pour le cas d'empêchement, d'un bénéficiaire subsidiaire, ainsi que l'habitation ou éventuellement les habitations que devront occuper après la reprise le ou les bénéficiaires du bien repris ;

-reproduire les termes de l'alinéa premier de l'article L. 411-54.

La nullité ne sera toutefois pas prononcée si l'omission ou l'inexactitude constatée ne sont pas de nature à induire le preneur en erreur.

Par ailleurs, l'article L. 411-58 du Code rural, en son alinéa 2, permet au preneur à qui est opposé un refus de renouvellement et donc un congé pour reprise, lorsque celui-ci se trouve à moins de cinq ans de l'âge de la retraite retenu pour les exploitants agricoles ou de l'âge lui permettant de bénéficier d'une retraite à taux plein, de solliciter une prorogation du bail pour une même durée.

La conséquence est alors que le bail est prorogé "de plein droit" pour une durée égale à celle permettant au preneur d'atteindre l'âge correspondant.

Les implications sont complexes pour le propriétaire qui souhaite reprendre son bien au terme de la période de prorogation, puisqu'il doit, au terme de l'alinéa 3 de l'article L. 411-58 du Code rural, délivrer un nouveau congé par voie extrajudiciaire, et ce 18 mois avant l'expiration du bail suivant prorogation.

Modalité simple à première vue, mais quid si la période de prorogation permettant au preneur d'atteindre l'âge de la retraite est inférieure à 18 mois ?

En effet, dans ce cas, le bailleur est en réalité dans l'impossibilité matérielle de délivrer valablement un nouveau congé, puisque le délai de 18 mois ne pourra, par définition, pas être respecté.

Pour autant, relève le Conseil constitutionnel, par les dispositions contestées, le législateur a entendu garantir la continuité des exploitations agricoles en s'assurant qu'à l'issue de la période de prorogation, le bailleur souhaite toujours reprendre son bien en vue de l'exploiter et remplit les conditions pour ce faire.

En empêchant le bailleur de s'opposer au renouvellement du bail lorsqu'il est placé dans la situation où un preneur sollicite une prorogation de moins de 18 mois devant lui permettre d'atteindre l'âge de la retraite, le Conseil constitutionnel considère que ces dispositions "portent une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi".

C'est donc une inconstitutionnalité de l'alinéa 3 de l'article L. 411-58 du Code rural que prononcent les Sages par cette décision.

À noter toutefois qu'il s'agit d'une abrogation à effet différé, classiquement, en raison des conséquences manifestement excessives qu'entraînerait une abrogation immédiate.

Les effets de la décision sont donc reportés au 31 décembre 2022, de façon à permettre au législateur d'adopter un dispositif correctif.

Cependant, et pour faire cesser immédiatement l'inconstitutionnalité, il convient de retenir que jusqu'à cette date,  "en cas d'opposition du preneur à la reprise du bail dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 411-58 du code rural et de la pêche maritime), le bailleur n'est pas tenu de délivrer un nouveau congé en application des dispositions déclarées inconstitutionnelles si la durée de la prorogation du bail résultant de cette opposition est inférieure à dix-huit mois".

On ne saurait que trop conseille de recourir à un professionnel de la matière, en vue de faire délivrer un congé, ou au contraire, de s'opposer à un congé délivré par un bailleur en vue par exemple d'une reprise pour exploiter.